En travaillant dans le secteur viti-vinicole, vous connaissez forcément le phylloxéra. Pour ceux qui ne le connaissent pas, voici le Daktulosphaira vitifoliae de son nom complet, c’est un insecte semblable à un puceron qui a eu un impact terrible sur les vignobles français.
Qu’est-ce que c’est exactement ?
Le phylloxéra (qui s’est longtemps fait appeler phylloxéra vastatrix) est donc un insecte hémiptère (= c’est le nom d’ordre de cette espèce) de la famille des Phylloxeridae.
Il est originaire de l’Est des Etats-Unis, et se présente sous trois formes :
- Gallicole : ce sont les individus vivant sur les feuilles
- Radicicole : ceux qui vivent sur les racines
- Sexuées : les femelles sont ailées, alors que les mâles ne le sont pas
Jusqu’à présent, il n’a pas été aperçu sur d’autres végétations que la vigne.
S’il vient des Etats-Unis, comment est-il arrivé en France ?
Comme souvent pour les espèces exotiques envahissantes, il a été introduit de manière accidentelle suite à l’importation de pieds de vignes américains sur le territoire français. Et suite à cela, il s’est répandu assez facilement et rapidement :
- d’une part par les sols, passant de racine en racine,
- et d’autre part par les airs pour les formes ailées, qui se voyaient entraînées par le vent (ils pouvaient ainsi parcourir des dizaines de kilomètres !).
Quand est-ce que tout ça a commencé ?
Bon, en très bref :
- 1863 : C’est la première fois que l’on observe la maladie du phylloxéra sur les vignes, et ça a lieu dans le Gard.
- 1866 : Trois ans plus tard, c’est à Bordeaux, dans les palus de Floirac, que la maladie est de nouveau observée. Pour le moment, personne n’a découvert le parasite coupable de cette catastrophe.
- 1868 : C’est finalement Félix Sahut qui découvre enfin l’existence de l’insecte, sur les racines de plants qu’il avait arrachés dans un vignoble de Saint-Martin-de-Crau, dans les Bouches-du-Rhône.
- 1869 : Il faudra enfin attendre six ans après la première observation pour qu’un homme (Victor Pulliat) suggère une solution et prône le greffage sur porte-greffes résistants, afin de régénérer la vigne française attaquée par le phylloxéra.
Quel impact a le phylloxéra sur la vigne ?
En réalité, il en a deux, dont un qui a anéanti le monde viticole fin XIXème puisqu’il s’est avéré mortel pour les vignes :
- Les générations gallicoles (souvenez-vous, celles qui sont présentes sur les feuilles de vignes) piquent ces dernières, ce qui a pour réaction d’entraîner le jaunissement du feuillage : ce n’est pas très beau, mais au moins, ce n’est pas mortel.
- Cependant, les phylloxéras radicicoles, eux, piquent directement à la racine, et cela provoque chez les jeunes racines une formation de tubérosités qui précipite la mort du pied en seulement trois ans.
Quels ont été les moyens de lutte dans les vignobles français ?
Une multitude de solutions ont été testées, utilisées et ont parfois fait leurs preuves. Voici les deux solutions les plus connues et efficaces :
- L’ensablement : il a été prouvé par expérience que le sable n’était pas une matière pouvant être traversée par les formes radicicoles pour atteindre les racines. Cependant, vous vous en doutez, tous les vignobles ne peuvent pas procéder à un ensablement !
- L’hybridation : une solution apportée par des scientifiques à l’époque, et parfois utilisée encore aujourd’hui, a été de proposé des pieds de vignes hybrides, composés de cépages européens et de vignes américaines résistantes.
- Le greffage sur porte-greffes : il s’agit de la solution la plus efficace, la plus répandue et toujours utilisée à l’heure actuelle. Ici, on utilise une variété de vignes américaines (immunisée contre la maladie) qui sert de support au pied de vigne initial (il s’agit donc de la partie enterrée).
Quel effet cela a-t-il eu sur la France ?
Cette crise a été une catastrophe pour le monde viticole français pendant près de quinze longues années. La production française annuelle de vins est réduite de moitié entre 1879 et 1893 ! C’est une catastrophe qui a touché tout le vignoble français, petits comme grands domaines, et qui est souvent décrite comme étant la plus grande catastrophe agricole de France.
Et aujourd’hui, comment ça se passe dans les vignobles ?
Il a été prouvé que le phylloxéra est toujours présent sur le territoire national. Cela indique donc que la maladie n’est pas éradiquée mais simplement solutionnée. De plus en plus de vignoble prennent en considération les freins et les leviers à remettre en place des vignes franches de pied, c’est-à-dire les pieds de vignes sans porte-greffe américain.
C’est l’une des plus grandes crises du secteur agricole, et pourtant les vignerons français ne se sont pas laissés abattre et se sont relevés face à la crise. Quelle belle démonstration d’imagination, de combativité et d’ouverture d’esprit de la part de ces générations qui nous ont précédées !
On y voyait déjà la fin d’un grand patrimoine national, riche et vivant, l’un de ceux qui nous a fait connaître dans le monde entier (dans une époque loin de la sur-connectivité actuelle).
Pourtant, ces vignerons ont, déjà à l’époque, su rebondir, s’unir afin de proposer des solutions pérennes, et surtout, ils n’ont pas abandonné cet héritage.
Questions ouvertes
Le sujet revient dans l’actualité du monde viticole depuis quelques années sur plusieurs interrogations :
- Prendra-t-on le risque de remettre en place des francs de pied dans les vignobles français ? Certains l’ont déjà fait, d’autre se lancent ; nous aimerions beaucoup avoir des retours d’expérience de ces aventuriers !
- Le franc de pied confère-t-il un meilleur goût, une meilleure qualité au vin ? Les avis divergent à ce sujet : certains disent que c’est inéluctable, d’autres n’en sont pas si sûrs.
- Les acheteurs seront-il prêts à payer plus cher pour un vin de franc de pied ? La remise en état du vignoble et les différents traitements à mettre place étant plus onéreux que l’entretien des porte-greffes, qu’en est-il de la place du consommateur ?